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Éloge funèbre de Guillaume Tell

Editions de l’Aire 2022

Mon cher Guillaume Tell,

Devant ta tombe ouverte, laisse-moi te parler en ami. Le temps n’est plus aux vains discours, mais à la sincérité. La Suisse t’a exécuté le 26 mai 2021. Nos autorités ont décidé de t’enterrer en toute discrétion aujourd’hui. J’ai obtenu la permission de m’adresser à toi sans que nous soyons dérangés, et me voilà dans ce carré d’herbe qui a été choisi pour te donner une sépulture. Seul devant ton cercueil, je souhaite clore les différends que nous avions cru avoir et qui en réalité n’existaient pas. Moi, le Romand, l’Européen, autrement dit le mauvais Suisse, je tiens à te rendre hommage.

Qui a tué Guillaume Tell ? Une légende peut-elle mourir ? Comment pourrait renaître la liberté incarnée par le célèbre arbalétrier ? Quelle promesse se noue au bord de sa tombe ? 

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Pour un réveil européen des Romands

Malgré le Brexit, les Ecossais n’ont jamais cessé d’affirmer leur attachement à l’Europe. Après le refus de l’EEE qu’il avaient massivement soutenu, les Romands ont, au contraire, baissé la tête. Beaucoup d’entre eux se sont même excusés auprès des Alémaniques, donnant ainsi l’impression d’avoir honte de leur engagement. Certes, les situations ne sont pas comparables. Toutefois, elles permettent de rappeler deux principes. Premièrement, ce n’est pas parce qu’une culture est minoritaire dans un ensemble plus vaste que ses visions sont erronées. Deuxièmement, perdre une bataille n’implique pas de renier ses convictions.
Aujourd’hui, la Suisse poursuit un objectif impossible en voulant être simultanément à l’intérieur du grand marché européen pour en tirer bénéfice et à l’extérieur pour en rejeter les devoirs. En réalité, plus elle s’intègre matériellement, plus elle devient un membre passif de l’Union européenne. A l’inverse, plus elle s’oppose à une normalisation de son intégration, plus elle en précarise les avantages. Tétanisée par ce dilemme, la Suisse balbutie, procrastine et s’enferme dans d’épuisantes considérations juridico-techniques.
Or la pandémie vient de nous montrer à quel point la Confédération est étroitement liée à l’Union. En urgence, des coopérations techniques, sanitaires, scientifiques ont été activées avec succès. En commun, des rapatriements de citoyens se sont organisés en dépassant la question des nationalités. Et demain, le destin de la Suisse sera toujours plus européen. Le rêve d’une île vivant prioritairement des marchés asiatiques et américains s’est évanoui. L’une des leçons importantes du Covid-19 est que l’intégration à l’échelon européen doit se renforcer, qu’il s’agisse des chaînes de production ou de la protection des habitants.
Dans ce contexte tourmenté, l’UDC propose une démarche qui constitue à la fois un contre-sens historique et un harakiri économique. Alors que la Suisse affronte une récession mondiale qui met à rude épreuve son industrie d’exportation et son secteur touristique, elle invite les Suisses à ajouter une crise à la crise. Soumise au peuple le 27 septembre, son initiative contre la libre circulation des personnes organise de facto la chute des accords bilatéraux et, par conséquent, une rupture des relations avec l’Union européenne. Il ne peut en résulter que l’isolement, option aussi inacceptable qu’irréaliste.
C’est là qu’interviennent les Romands. Cet automne, leurs voix peuvent s’avérer décisives. Réveillés par une question vitale, ils sauront défendre leur région. Les Ecossais sont réputés pour leur courage. Nul doute que les Romands retrouvent le leur et balayent vigoureusement les délires nationalistes.

Pour un déconfinement de l’intégration européenne

Même ravageurs, les cyclones ne font pas tourner la terre à l’envers. Malgré la brutalité du coronavirus, le monde d’après risque bien de ressembler à celui d’aujourd’hui, loin des réformes espérées. Demain, homo sapiens ne sera guère plus sage et il devra toujours fournir de grands efforts pour réaliser de petits progrès. Toutefois, si la pandémie n’est pas synonyme de révolution, elle aura servi de révélateur. Les relations de la Suisse avec l’Europe font partie de ces nébuleuses opaques qui ont été soudain éclairées de manière crue. Quatre phénomènes ont été ainsi mis en lumière.
Premièrement, la crise a montré une fois de plus combien la Suisse est profondément européenne. Soudain, des coopérations inédites et intenses s’organisent au quotidien. Des expériences sont mises en commun. Des matériels sanitaires s’échangent. Des malades sont soignés dans le pays voisin. Des avions affrétés par la Suisse rapatrient des Européens et réciproquement. Chaque jour, dans de nombreux domaines, des opérations sont déployées sans obstacle, comme si la Suisse était membre de l’Union européenne.
Deuxièmement, le grand fantasme d’une Suisse davantage reliée à l’Asie qu’à l’Europe s’évanouit. La multiplication sans limite des déplacements de matériels à l’échelle planétaire apparaît risquée. La « recontinentalisation » de certaines chaînes de production est évoquée. Dès lors, la Chine ne semble plus l’horizon idéal de la moindre entreprise. Plus que jamais, l’avenir économique et social de la Suisse s’avère européen.
Troisièmement, la Libre circulation des personnes dans l’espace Schengen se révèle être un bien précieux, dont la suspension provisoire a brimé tous les Européens. Désormais, il existe un vaste territoire commun, où les familles, les travailleurs, les étudiants, les touristes ne connaissent plus de frontières.
Quatrièmement, face aux évolutions en cours, l’isolement politique d’une Suisse intriquée dans le tissu européen n’a plus grand intérêt. A quoi lui sert-il de ne pas siéger dans les instances qui élaborent les politiques et le droit dont elle dépend toujours davantage ?
Ces constats renforcent la nécessité de sortir la Confédération des pièges dans lesquels elle s’est enfermée. Aujourd’hui, elle poursuit un objectif impossible en voulant être à l’intérieur du projet européen pour en tirer bénéfice et à l’extérieur pour en rejeter les devoirs. En réalité, plus elle s’intègre matériellement, plus elle devient un membre passif de l’Union européenne. A l’inverse, plus elle s’oppose à une normalisation de son intégration, plus elle risque d’en perdre les avantages. Tétanisée par ce dilemme, elle balbutie et s’épuise dans d’inutiles considérations juridico-techniques.
Malheureusement, dans cette situation intenable, le Conseil fédéral a choisi d’avancer « aussi lentement que possible et aussi discrètement que nécessaire ». Il ne paraît plus en mesure de défendre vigoureusement un accord-cadre qu’il a lui-même négocié et dont la finalité, faut-il le rappeler, est de pérenniser une voie bilatérale établie spécialement pour la Suisse suite à son refus de l’EEE. C’est dans ce contexte paradoxal de solidarité européenne et de procrastination fédérale, que se profile la votation du 27 septembre. Pour une fois, l’initiative de l’UDC a le mérite de la clarté. En exigeant la fin de la Libre circulation des personnes, elle organise la chute des six premiers accords et, de facto, la fin du bilatéralisme. Véritable Swissexit, elle tend aux citoyens une invitation au chaos.
Face à l’importance de l’enjeu, deux rappels s’imposent. D’une part, la Libre circulation des personnes est une valeur humaniste qu’il serait insensé de brader. Elle n’est pas une monnaie d’échange dans une sorte de grande péréquation supranationale, mais un droit fondamental pour tous les individus. Casser cette liberté reviendrait à confiner les peuples derrière les frontières, comme s’ils devaient subir une éternelle pandémie. D’autre part, l’histoire exige de trancher. L’Union n’est pas une évidence à la fois ennuyeuse et bienfaitrice, éternellement à disposition d’une Confédération exigeant jusqu’à la fin des temps le droit de s’interroger sur la meilleure manière d’en profiter. Face aux défis du siècle et aux coups de boutoir des populistes, tous les Européens, Suisses compris, doivent choisir entre le développement de l’intégration ou le sabordage de leur propre continent.
La décision de septembre interviendra au sortir espéré de la pandémie, mais au cœur d’une récession mondiale d’une ampleur considérable. Ce serait donc pure folie d’ajouter à la crise économique celle d’une rupture avec l’Union européenne. Tirer dans la coque du navire en pleine tempête constitue une stratégie suicidaire. Mais au-delà de cette évidence, la liquidation de l’initiative de l’UDC s’impose, parce qu’une relance forte de la Suisse exige aujourd’hui un engagement européen enfin clair et net.

Les « relations monolatérales », nouvelle stratégie européenne de la Suisse

A l’évidence, la meilleure manière de défendre ses intérêts pour un Etat situé au cœur de l’Union européenne est encore d’en faire partie. Pour avoir la moindre influence sur les décisions, mieux vaut être dans la salle où elles se prennent avec le droit de vote. Ecouter aux portes pour se préparer à subir les choix des autres constitue une façon originale mais peu efficace de promouvoir sa propre souveraineté. Naturellement, siéger aux côtés de vingt-huit Etats qui ont également des droits a ses exigences, pas toujours enthousiasmantes. Il faut se déplacer tant à Bruxelles qu’à Strasbourg, siéger dans de multiples instances et participer à un nombre considérable de séances. De surcroît, il convient d’écouter les autre membres du club. Plus difficile, il importe même de considérer que leur point de vue n’est pas négligeable. Et finalement, il n’y a d’autre issue que d’accepter les décisions prises en commun.
Au vu de cette équation complexe et après de longues tergiversations, la Suisse opta pour l’attitude qui lui parut la plus simple et la moins risquée. Autant n’avoir rien à dire que d’intégrer ce que pourraient dire nos voisins. Et pour les relations au quotidien, contentons-nous d’accords au cas par cas passés avec l’Union considérée comme un bloc. Inutile de se perdre dans un multilatéralisme énergivore et incontrôlable, où des Roumains et des Portugais sont susceptibles d’avancer des revendications exotiques. Un bon vieux face à face entre Bruxelles et Berne, d’égal à égal, voilà la seule politique acceptable. Le bilatéralisme était né, élevé aussitôt au rang de voie royale, aussi intangible qu’éternelle.
Malheureusement, bien que restreint, ce partenariat dépendait aussi de l’Union. Celle-ci était d’ailleurs en position de force, puisque les Suisses après avoir dit non à l’EEE s’étaient précipités à Bruxelles pour obtenir l’accès au grand marché qu’ils venaient pourtant de refuser. Bonne fille, l’Europe avait accepté de considérer ce rejet comme un faux pas dans une marche vers l’intégration promise à des jours meilleurs. Elle imaginait que des accords sectoriels pouvaient donc être conclus à titre transitoire. Dans cette optique, il ne fut pas surprenant qu’elle veuille bientôt remplacer une foule de contrats lourds et statiques par un nouveau processus. Un accord-cadre fut rédigé. L’Union s’y s’accrocha, tandis que la Suisse le contestait bien qu’elle l’ait elle-même négocié durant cinq ans. Rapidement, on entra dans un blocage qui n’était rien d’autre que l’enterrement du bilatéralisme.
La Suisse se trouvait dans une impasse, quand elle sut à nouveau faire preuve de ce génie qui la voit retourner des pressions extérieures en libertés intérieures. Puisque le bilatéralisme ne fonctionnait plus, il fallait trouver une nouvelle stratégie pour composer avec une Union qu’il n’était pas possible d’ignorer. Après deux «retraites» du Conseil fédéral, la solution fut rendue publique, logique et brillante. L’avenir européen de la Suisse serait désormais régi par des «RELATIONS MONOLATERALES». La substance de ce nouveau concept reposait sur une prémisse imparable: deux parties dans un accord, c’est trop! Il s’en suit des malentendus et des complications sans fin, ainsi que l’obligation de faire régulièrement des concessions désagréables. A l’avenir, les contrats signés avec l’Europe seraient le résultat de négociations purement helvético-suisses.
Philosophiquement, cette approche convoquait les plus hautes valeurs. En Suisse, c’était le peuple qui négociait, comme aimait à le répéter le Conseil fédéral. Plus précisément, la démocratie directe plaçait la Confédération dans une position de supériorité morale qui lui donnait des droits particuliers. Parce que les citoyens conféraient une meilleure légitimité aux positions de la Suisse, il était normal qu’elles servent de référence. Puisque les démocraties européennes restaient imparfaites, il était sain qu’elles soient entraînées par celle qui avait valeur de modèle. De surcroît, la Confédération veillerait à informer l’Union en détail de l’état de ses débats internes. Enfin, les Européens resteraient parfaitement libres de s’accommoder à leur guise du cadre défini par la Suisse.
Sur la scène politique et dans l’opinion, les nouvelles relations monolatérales furent accueillies avec un vif soulagement. Enfin nous cesserons de nous agenouiller devant l’Europe, se réjouirent les syndicats suisses. En route pour de bons débats concernant nos vrais problèmes, soulignèrent les partis. Finalement le Conseil fédéral a trouvé l’œuf de Colomb, notèrent nombre de commentateurs. Seule l’UDC considéra que l’idée de garder des relations avec l’Europe, fussent-elles définies de manière autonome, constituait une inféodation insupportable à la dictature de Bruxelles.
Hélas, l’Union européenne, avec cette rigidité qui la caractérise, assimila le choix de la Suisse à celui de l’isolement. Elle montra ainsi sa mauvaise foi et son incapacité à sortir de ses fonctionnements bureaucratiques pour se rallier à ceux d’une démocratie vivante. Heureusement, la Suisse n’abandonna pas au premier obstacle. Vaillante et déterminée, elle se lança dans de vastes discussions sur la manière dont son continent devait la percevoir et tenir compte de ses spécificités.
Aujourd’hui encore, elle conduit un débat fécond sur la question européenne au sens large. Certes, ses effets ne dépassent plus ses frontières. Mais son écho constructif résonne longuement dans des montagnes qui affirment et entretiennent ainsi leur esprit d’ouverture.

La Suisse face aux discours europhobes

Samedi 29 juin, l’UDC a tenu son Assemblée des délégués à Orbe. Dans ce cadre, ses responsables ont tenu des propos inacceptables sur nos voisins européens. Son président, Albert Rösti, a appelé les Suisses rejeter l’accord-cadre conclu avec l’UE en faisant preuve du même esprit de résistance que le Général Guisan durant la Seconde guerre mondiale. Plus explicite, le conseiller national Adrian Amstutz  n’a pas hésité à dire que le pouvoir bruxellois lui faisait penser à l’Allemagne nazie.
Cette falsification de l’Histoire est choquante. Effectuer des parallélismes entre le régime nazi et l’UE à des fins de propagande constitue une stratégie ignoble. D’abord, parce que la Communauté a été construite sur les ruines et les cadavres de la Seconde guerre mondiale, précisément pour qu’une telle tragédie ne se reproduise pas. Ensuite, parce que la Suisse profite largement de la paix et de la prospérité que la construction européenne a permis d’établir et de pérenniser sur notre continent. Enfin, parce que ces comparaisons insultent non seulement l’Union, son Parlement, ses membres et ses peuples, mais aussi les millions de soldats qui ont donné leur vie pour sauver les libertés dont la Suisse jouit, sans avoir dû se battre contre les nazis.
Malheureusement, cette réécriture scandaleuse de l’Histoire est également emblématique de l’europhobie dans laquelle la Suisse est en train de sombrer. Les actuelles discussions sur l’accord-cadre ne sont pas le problème. Les questions sont légitimes. Les critiques peuvent s’avérer fécondes. Les éclaircissements sont nécessaires et au demeurant possibles.
Le danger est que les oppositions d’où qu’elles viennent diffusent les mêmes contre-vérités. L’Union est arrogante. Elle ne respecte pas la Suisse. Elle veut imposer sa loi. La Confédération ne doit pas s’agenouiller, mais se battre contre ce monstre bureaucratique qui la menace. Une fois de plus, il convient de rappeler tant aux nationalistes qu’aux syndicats que la Suisse peut parfaitement déchirer l’accord-cadre s’il ne lui plaît pas. De même, elle peut renoncer à la libre circulation des personnes et aux accords bilatéraux si elle le désire. Par contre, il apparaît douteux qu’elle puisse continuer de profiter du Grand marché européen en n’acceptant que les règles qui lui conviennent.
Depuis des années, face à des clichés europhobes qui se sont installés et ont pris valeur d’évidences, les rappels des faits et de leurs conséquences se font rares. C’est là que réside le vrai défi de la Suisse : peut-elle encore sortir de discours nationalistes fiévreux qui faussent son jugement ? Qui tient les mots fait l’Histoire. Aujourd’hui, celle de la Suisse ressemble chaque jour davantage à une longue marche vers l’isolement.

La Suisse saura-t-elle éviter le naufrage britannique ?

L’Europe comporte deux îles, qui traversent des tourments similaires. Toutes deux veulent se distinguer de l’Union, mais aussi profiter de ses réussites. Pour ce faire, le Royaume Uni a négocié un vaste contrat qui doit lui permettre de sortir sans dommage du club des vingt-sept, tandis que la Suisse a conclu un accord pour ne pas s’en couper tout en évitant le plus longtemps possible d’y entrer. Si la grande île géographique semble promise à des jours cruels, la petite île politique paraît capable de se tirer d’affaire. Toutefois, rien n’est joué. Effectuant les mêmes erreurs que leurs cousins insulaires, les Suisses se sont enfermés dans un souverainisme qui risque bien de faire échouer leur traditionnel pragmatisme.
Depuis toujours, les parentés culturelles entre les deux îles sont frappantes. Alors qu’elles ne parlent pas la même langue et que ni leurs trajectoires, ni leurs systèmes politiques ne se ressemblent, elles entretiennent des rapports au monde comparables. Voilà deux sociétés marchandes, commerçantes, l’une enrichie par la conquête des mers, l’autre par le contrôle du Gothard, qui privilégient les affaires, la finance, le libéralisme et la responsabilité individuelle. Au fil du temps, toutes deux ont développé un sentiment de supériorité face au continent. Malgré sa disparition, l’Empire inscrit encore l’idée de puissance dans les gènes britanniques. Même quand elle dysfonctionne, la démocratie directe laisse croire aux Suisses que leurs décisions sont moralement supérieures à celles de leurs voisins.
Ces fondamentaux ont structuré les rapports à la construction européenne. Ainsi, l’Angleterre n’a jamais soutenu sa dimension politique. Après avoir tenté de faire de l’AELE une machine de guerre contre le Marché commun, elle est entrée contrainte par ses difficultés économiques dans la Communauté, où elle a fonctionné comme un frein à l’intégration, multipliant les opting-out. La Suisse, elle, n’a jamais accepté la philosophie du projet. Combattant les régulations européennes, elle a longtemps entretenu une ingénierie du profit basée sur des pratiques peu glorieuses, telles que le statut du saisonnier, le secret bancaire ou le braconnage fiscal. « Global au plan économique, local au plan politique », ce mantra des années soixante semble d’ailleurs toujours valable pour un président de la Confédération qui préfère dialoguer avec Xi Jinping et Donald Trump qu’avec la Commission européenne.
Aujourd’hui, ce nationalisme est en train de se retourner contre ceux qui en ont abusé. Outre-manche, le roman délirant d’un Royaume Uni repartant seul à la conquête du monde a permis le Brexit. Puis, face au désastre, les Européens ont été rendu responsables de la rupture et de tous les malheurs britanniques depuis quarante ans. De son côté, la Suisse a oublié qu’après avoir rejeté l’EEE, elle a couru à Bruxelles pour réclamer l’accès au marché européen. Elle a aussi soigneusement rayé de sa mémoire le fait qu’elle a obtenu les accords bilatéraux en se présentant comme un futur membre du club. Elle n’a donc pas conscience que, faute d’adhésion, l’accord-cadre permet de pérenniser des bricolages qui représentaient des solutions transitoires. En clair, c’est la Suisse qui est demanderesse. D’ailleurs, rien ne l’empêche de laisser moisir les relations avec l’Union, puis de faire cavalier seul.
Or elle vit dans une narration diamétralement opposée. C’est l’Europe la fautive. C’est elle, le monstre antidémocratique qui dicte sa loi, s’impatiente et ne respecte pas les choix helvétiques. Dans ce récit, les peuples européens n’existent pas. Seul compte le peuple suisse, qui doit pouvoir jouer à sa guise sur le marché européen en ignorant les règles qui lui déplaisent. Le renversement des faits est devenu si complet qu’une part de la gauche fait désormais de l’UE un ogre néolibéral, comme si la Suisse était depuis toujours une brave petite République socialiste au service des travailleurs.
Certes, l’accord-cadre mérite des éclaircissements. A cet égard, les questions des syndicats sont légitimes. Mais les problèmes techniques et juridiques sont solubles. Par contre, le grand défi est de rétablir les vérités historiques torpillées par les populistes. Dans l’immédiat, il est fascinant de voir la petite île glisser sur la même pente que la grande, sans même s’en rendre compte. Imitant les Communes, le Conseil des Etats décrète unilatéralement que l’accord conclu doit être renégocié. Plagiant le Royaume Uni, le pays rejette les responsabilités de ses divisions sur l’Union. Aujourd’hui, les discours que les Suisses tiennent sur l’Europe conduisent au naufrage. Sauront-ils en changer ? Avant qu’il ne soit trop tard ?