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Éloge funèbre de Guillaume Tell

Editions de l’Aire 2022

Mon cher Guillaume Tell,

Devant ta tombe ouverte, laisse-moi te parler en ami. Le temps n’est plus aux vains discours, mais à la sincérité. La Suisse t’a exécuté le 26 mai 2021. Nos autorités ont décidé de t’enterrer en toute discrétion aujourd’hui. J’ai obtenu la permission de m’adresser à toi sans que nous soyons dérangés, et me voilà dans ce carré d’herbe qui a été choisi pour te donner une sépulture. Seul devant ton cercueil, je souhaite clore les différends que nous avions cru avoir et qui en réalité n’existaient pas. Moi, le Romand, l’Européen, autrement dit le mauvais Suisse, je tiens à te rendre hommage.

Qui a tué Guillaume Tell ? Une légende peut-elle mourir ? Comment pourrait renaître la liberté incarnée par le célèbre arbalétrier ? Quelle promesse se noue au bord de sa tombe ? 

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Les USA réinventent la Suisse

Par nature, la Suisse est un Etat réactif. Souvent, la « nation de la volonté » est aussi la nation de la volonté des autres. Craignant le changement comme la peste, la Confédération n’opère de grands choix politiques que sous la pression des circonstances extérieures.
La Lex USA illustre ce phénomène. Les Américains ont contraint les Chambres fédérales à trancher un vieux dilemme existentiel : La défense de l’Etat prime-t-elle sur celle de la place financière ?
Certes, la réponse donnée par le Parlement contient une part non négligeable d’indignation souverainiste. On refuse qu’une puissance étrangère pose à la Suisse une forme d’ultimatum. On n’admet pas qu’autrui se permette de donner une leçon gênante.
Réflexe pavlovien, ce mouvement de menton nationaliste exprime aussi le dépit de ceux qui savent que le train de la normalisation est parti. Dans tous les dossiers fiscaux et quels que soient les processus, la Suisse va devoir rejoindre les standards internationaux. Encore un pan du Sonderfall qui s’écroule !
Par ailleurs, le non à la Lex USA contient une affirmation positive qu’il convient de ne pas sous-estimer. Pour la première fois, le législatif ne suit pas à la lettre les consignes des banques. Mesure-t-on à quel point cette émancipation est nouvelle ? La Confédération deviendrait-elle un « Etat au sens plein du terme », dont la finalité dépasse la simple addition de conditions cadre utiles à sa place financière ?
Même si cette affirmation de la Suisse politique s’effectue en quelque sorte « à l’insu de son plein gré », elle opère un tournant décisif. Il existe désormais un Parlement qui ne réduit pas le destin du pays à celui de ses banques. Il n’est pas exclu que cette option soit durable. Merci aux Etats Unis d’avoir ainsi obligé la Suisse à se réinventer !

Le peuple a désavoué le populisme

C’est une déroute ! Par près de 80% de non, les citoyens ont balayé l’initiative instaurant l’élection du Conseil fédéral par le peuple. L ‘UDC subit un échec et Christophe Blocher un sévère désaveu, lui qui avait entraîné son parti dans une « opération vengeance » suite à sa non-réélection au Conseil fédéral. A l’inverse, le Parlement, le Conseil fédéral et Eveline Widmer-Schlumpf sortent renforcés de ce scrutin.
En fait, le peuple connaît son pays. La Confédération n’est pas un vaste canton. Un Etat fédéral multilingue ne constitue pas un espace démocratique homogène, où les candidats auraient pu s’affronter de manière équitable. Le Conseil fédéral ne souffre pas d’un déficit de légitimité, mais d’un manque de cohésion. Et son élection directe aurait encore affaibli son peu de cohérence programmatique.
En clair, les citoyens n’ont pas voulu de sept campagnes électorales à l’américaine, permanentes et parallèles, où l’argent et le tapage médiatique auraient joué un rôle déterminant.
Manipulatrice, l’initiative de l’UDC reposait sur le dénigrement des Députés aux Chambres fédérales pourtant désignés par le suffrage universel. Paternaliste, elle véhiculait l’idée que le peuple, brimé par les élites, avait besoin de sept hommes forts pour être gouvernés.
Par nature, le populisme instrumentalise celles et ceux qu’il prétend servir. Il attise les insatisfactions pour s’en faire le remède. Sous couvert de démocratie, il cherche le développement de son propre pouvoir. Les Suisses semblent au clair sur ce genre de manœuvre. Aujourd’hui, s’agissant de la formation de son gouvernement, le peuple a désavoué le populisme.

L’élection du Conseil fédéral par le peuple ou le syndrome d’Abraracourcix

Cumulant les défauts, l’initiative UDC instaurant l’élection du Conseil fédéral par le peuple n’a qu’une vertu : elle rappelle que l’actuel système de gouvernement devra être un jour réformé, tant il manque de cohésion programmatique. Pour autant, elle n’apporte aucun remède à cette carence. Au contraire, elle l’accentue tout en introduisant de nouveaux problèmes au cœur des institutions. En fait, elle offre l’exemple magistral d’un projet mal pensé, dont les effets détruisent les objectifs qu’il revendique.
Donner la parole au peuple, tel est le but premier des partisans de l’initiative qui se posent en défenseurs de la démocratie. Or, d’une part, l’Assemblée fédérale, qui a la compétence d’élire le Conseil fédéral, est l’émanation du peuple. D’autre part, les citoyens ne gagneront que le droit de soutenir les candidats que les partis voudront bien leur présenter. En réalité, ce sont les formations politiques qui choisiront les futurs Conseillers fédéraux, après de longues batailles internes. En quoi un Congrès du PS ou de l’UDC est-il plus légitime que l’Assemblée fédérale élue au suffrage universel ? Pourquoi les négociations politiques des Députés aux Chambres fédérales seraient-elles indignes, alors que celles des militants incarneraient l’innocence et la pureté ? Sauf à organiser des élections primaires ouvertes à tous dans chaque camp et dans chaque canton, casse-tête ingérable, les citoyens ne constitueront pas l’équipe susceptible d’occuper les sept sièges du gouvernement.
Par ailleurs, une fois les candidats désignés, l’argent et la médiatisation seront rois. L’emporteront au final les candidats qui auront su accumuler les capitaux pour faire campagne dans toutes les régions. Quel pouvoir réel gagnera le peuple en subissant pendant des mois sept courses folles à l’américaine entre des champions désignés par les partis et financés de manière obscure ? Absurdité supplémentaire, la diversité linguistique rendra le libre-arbitre citoyen aléatoire. Pour avoir du sens, la démocratie a besoin d’un espace de discussion commun établi dans la durée. Comment se faire un avis pertinent sur un politicien que l’on ne comprend pas et dont l’action politique a été suivie par des journaux que l’on n’a jamais lus ? Bref, l’initiative UDC n’apportera ni la transparence, ni une amélioration de la démocratie.
Certes, répliqueront ses partisans, mais au moins les Conseillers fédéraux auront été adoubés par le peuple, ce qui les renforcera. Hélas, il ne suffit pas qu’une élection soit directe pour que l’élu bénéficie d’une légitimité indiscutable. La réalité montre des phénomènes beaucoup plus complexes. Ainsi, la légitimité d’Angela Merkel est plus forte que celle de François Hollande ou que ne l’a été celle de Nicolas Sarkozy. En Suisse, le crédit dont jouit une Doris Leuthard, par exemple, est supérieur à celui de beaucoup de membres des exécutifs cantonaux. L’histoire des cantons montre que de nombreux Conseillers d’Etat ont été considérés comme des erreurs de casting par leurs électeurs, qui se sont accommodés des magistrats que les partis leur avaient proposés en priant qu’ils n’entreprennent rien de spectaculaire.
Autrement dit, l’élection ne génère pas une légitimation a priori des politiques qui seront conduites. La force d’un gouvernant ne tient pas qu’au verdict des urnes, mais repose aussi sur son action et sur la manière dont il se comporte. La compétence, l’impartialité, l’intégrité, le sens du dialogue, le respect des pouvoirs intermédiaires et des institutions, ces qualités fondent le crédit que le peuple accorde à ses dirigeants. Dans une contribution à la revue Esprit parue en 2008, l’historien Pierre Rosanvallon note que « la légitimité est, comme la confiance entre individus, une institution invisible ».
Par contre, si l’élection du Conseil fédéral par le peuple n’augmente pas sa légitimité, elle menace la cohérence déjà faible de son action. Sept campagnes électorales quasi permanentes dans tout le pays achèveront de transformer les Départements en sept forteresses dont la surveillance des six autres sera le souci prioritaire. On objectera que cela marche à l’échelon cantonal. En est-on si sûr ? Mais surtout l’analogie n’est pas pertinente. Dans pratiquement tous les domaines, les cantons sont profondément insérés dans le droit suisse qui leur donne un cadre et une orientation, quelles que soient leur turbulences internes. Tout autre est le statut de la Confédération. Déterminant le destin du pays et les grands choix politiques applicables à tous, elle n’est nullement un canton plus vaste que les autres qui pourrait copier leurs fonctionnements.
Enfin, dernière négation de ses finalités, l’initiative de l’UDC menace les valeurs qui ont fait la Suisse. Favorisant les grands centres, elle ne peut qu’accentuer les rivalités territoriales, en ôtant pratiquement toute chance aux petits cantons d’obtenir des représentants au gouvernement. Supprimant l'intervention de l'Assemblée fédérale, elle ruine la recherche de consensus, réduisant le gouvernement de la Suisse à une addition de héros médiatiques et antagonistes. Toute l’histoire de la Suisse est un immense effort pour dépasser un morcellement qui la rend improbable. Toute son évolution tient dans la multiplication de processus démocratiques complexes primant sur des affrontements brutaux. L’initiative UDC propose une véritable déconstruction de ce savoir-faire.
Au vu d’autres défauts majeurs tels que la relégation en ligue B des ministres romands dont l’élection sera assurée par un quota, on peut s’étonner des soutiens reçus par l’initiative. C’est oublier combien l’inconscient collectif est encore marqué par l’illusion que la politique consiste à être hissé sur le bouclier du pouvoir par des bras enthousiastes pour les diriger fermement. Ouvrier chez Peugeot, puis historien et directeur d’études à l’EHESS, Yves Cohen analyse la fascination pour le commandement dans « Le Siècle des chefs », grande étude qui vient de paraître aux Editions Amsterdam.
Le chercheur rappelle qu’à la fin du 19ème siècle l’industrie change d’échelle. Il montre que la taylorisation dans de grandes usines génère l’émergence du chef dur mais juste, qui commande les ouvriers pour leur bien. Simultanément, le concept d’Etat-nation atteint son apogée, puis explose dans la Seconde guerre mondiale, qui produira l’adoration des chefs que l’on sait. Yves Cohen voit dans ce primat du commandement fort une résurgence des droits et responsabilités tenus par les aristocrates sous l’Ancien régime. Sans en être conscientes, les nations ont remis sur son piédestal l’Autorité contestée par la démocratie. Interrogeant l’avenir, l’historien observe que nous vivons désormais dans des sociétés horizontales et ouvertes, où chacun veut et prend la parole. Ainsi, les mutations sociales actuelles ne lui semblent plus structurées par des leaders charismatiques.
La multiplication de chefs paternalistes, même plébiscités par les urnes, n’apporterait guère de solutions aux démocraties. En tout cas, autonomes et informés, les citoyens d’aujourd’hui cherchent moins leur protection qu’une participation efficace à la définition de leur quotidien. Dans cette optique, l’Helvète fait figure de pionnier. Grâce aux droits d’initiative et de référendum, il dispose déjà d’un contrôle étendu de la vie politique et de ses ministres. En réalité, aucun argument sensé ne plaide pour le développement au cœur des institutions suisses du « syndrome d'Abraracourcix ».

Sauvegarde ou hara-kiri ?

 

Le Conseil fédéral vient d’activer la clause de sauvegarde limitant l’immigration provenant de tous les Etats membres de l’Union européenne. De l’avis des spécialistes, cette mesure symbolique n’aura aucun effet positif sur la qualité de vie en Suisse. Par contre, elle produit aussitôt cinq conséquences négatives bien réelles :
1) Sans conteste, elle porte atteinte au principe de la libre circulation des personnes qui constitue non seulement un pilier de la construction européenne, mais aussi une valeur pour les démocraties attachées aux libertés citoyennes.
2) Par ailleurs, elle complique la vie de l’économie, qui s’est opposée à cette restriction d’un principe contribuant à la prospérité helvétique.
3) Sans doute, elle va entraîner l’impossibilité de négociations institutionnelles avec l’UE, qui n’étaient même pas entamées et, par conséquent, le décès de la voie bilatérale.
4) Dans la foulée, elle permettra de justifier une augmentation de la pression en matière fiscale, la Suisse ne pouvant simultanément refuser les travailleurs et capter les entreprises ou les capitaux européens.
5) Enfin, elle adresse au peuple suisse un message de défiance qui l’incitera à voter oui aux initiatives contre l’immigration et non à l’extension de la libre circulation à la Croatie.
Prendre une décision cumulant autant d’effets pervers avec l’illusion de « sauvegarder » les intérêts suisses relève de l’aveuglement. A moins qu’il s’agisse d’une stratégie assumée de hara-kiri nationaliste ?


 

Le Conseil fédéral est condamné à redevenir europhile

 

En apparence, la défaite des pro-européens suisses est totale. L’adhésion est morte. Les troupes europhiles n’existent plus. Les messages de l’UDC ont passé dans l’ADN citoyen. Aujourd’hui, la très grande majorité des Suisses perçoit la Confédération comme un modèle dont le monde entier envie les succès et la richesse. A l’inverse, elle voit dans l’Union européenne un échec dont il faut se protéger. Couronnant cette vision, un nationalisme agressif se développe, qui enflamme jusqu’aux modérés, réjouit les commentateurs et a pour mission d’exprimer la force et la fierté retrouvée de la Suisse.
En fait, une autre lecture de la situation est possible. A peine le non à l’EEE sorti des urnes, la Suisse s’est battue pour avoir accès au grand marché européen. Il a fallu les accords bilatéraux pour qu’elle retrouve sa croissance. Avec plus de cent vingt accords, elle est aujourd’hui profondément insérée dans le dispositif européen. Par contre, membre passif de l’Union, elle n’a rien à dire sur les décisions qu’elle applique. De surcroît, la négociation de contrats secteurs par secteurs est terminée. Vingt ans plus tard, la Confédération n’a ni plan A ni plan B pour résoudre la question de son statut dans une construction européenne qui s’accélère. Dans cette optique, l’affirmation nationaliste n’est pas l’expression d’une sérénité retrouvée, mais bien plutôt le symptôme d’une inquiétude croissante.
Ces deux perceptions diamétralement opposées sont appelées à jouer un rôle considérable dans le destin de la Suisse. Dès lors, il est étrange que personne ne s’interroge sur la distance qui les sépare. Or, leurs fondements et leurs dynamiques irréconciliables constituent une bombe à retardement. Et le Conseil fédéral semble s’accommoder de sa probable explosion.
En politique, le discours gouvernemental a de nombreuses fonctions. Il transmet l’information utile à la compréhension des enjeux. Il mobilise l’opinion et les forces politiques pour promouvoir les objectifs de l’exécutif. Il convoque les symboles et les images qui inscrivent la collectivité dans une perspective historique. Il fédère l’ensemble des citoyens et tend à pacifier leurs divergences. Enfin, il doit contrôler les illusions que le pouvoir est contraint d’accréditer pour rester en place, tout en osant dire les vérités dont son action a besoin pour se développer.
Dans le dossier européen, le discours du Conseil fédéral néglige cette dernière fonction. Pire, il augmente la distance entre les illusions souverainistes et les réalités européennes. Depuis des années, la communication du gouvernement suisse semble ne plus servir qu’à démontrer sa capacité de résistance face à Bruxelles. Les réussites de l’Union ne sont jamais évoquées. Sa méconnaissance est entretenue. Les falsifications de l’UDC ne sont pas combattues. L’autosatisfaction sert de paravent aux questions non résolues. Le Bureau de l’intégration est devenu celui de l’immobilisme.
Cette inféodation aux sentiments populistes constitue non seulement une attitude peu glorieuse, mais aussi une tactique dangereuse. En fait, le Conseil fédéral se montre moins courageux que les votes qu’il attend du peuple. Il veut s’assurer le soutien de l’opinion en lui signifiant son mépris de l’Union, pour mieux lui demander par la suite de voter oui à différentes coopérations qu’il sait indispensables. L’activation de la clause de sauvegarde illustre parfaitement ce calcul. Le Conseil fédéral entend mettre des entraves à la libre circulation des personnes pour mieux obtenir son extension à la Croatie. Cette approche cynique a fonctionné jusqu’à présent. De manière générale, les phases de négociations avec Bruxelles se sont accompagnées de gesticulations intérieures eurosceptiques pour faire accepter leur nécessité. Puis l’approbation des accords bilatéraux dans les urnes a été obtenue comme le prix à payer pour pouvoir mieux refuser la construction européenne et ne jamais y adhérer.
Aujourd’hui, plusieurs paramètres laissent penser que ce procédé touche à sa fin. Premièrement, la peur d’éventuelles sanctions n’effleure plus le citoyen lambda. Dans sa vision, l’Union a toujours fini par avaler les couleuvres de la Suisse sans oser se fâcher. Une fois de plus, elle se débrouillera avec des décisions désagréables, d’autant plus qu’elles viendront du peuple. D’ailleurs, n’a-t-elle pas tout à perdre d’un litige avec un partenaire aussi riche ? Deuxièmement, la coupure des réalités est telle que les Suisses n’établissent plus de liens de causes à effets entre l’Union européenne, l’existence d’un grand marché ouvert et la prospérité helvétique. Dans leur optique, dire non à l’une des libertés fondamentales ne changera rien aux activités économiques intenses qu’ils entendent bien poursuivre dans les pays voisins, comme s’ils disposaient du passeport européen. Troisièmement, parce qu’il a été porté par le sommet de l’Etat, le nationalisme a éradiqué les anticorps susceptibles de lutter contre l’isolement. S’il est temps de relever fièrement la tête contre l’oppresseur européen, alors il convient de commencer par lui dire non dans les urnes.
Dans ce contexte, le peuple risque d’estimer qu’en actionnant la clause de sauvegarde le Conseil fédéral a fait la démonstration de la nocuité de la libre circulation des personnes. Si même le gouvernement met un frein à l’immigration européenne quitte à fâcher de nombreux Etats, alors il est possible, voire nécessaire, de dire non à la Croatie. Dans le même esprit, en liquidant l’adhésion et en refusant d’imaginer un EEE bis, le Conseil fédéral a laissé face à face l’Alleingang et un bilatéralisme amélioré dont personne ne voit ni les contours, ni les avantages. Sachant que les nationalistes peindront en traître à la patrie même le ministre le plus eurosceptique, sachant qu’ils combattront le moindre compromis avec l’Union, considérant que leurs fantasmes ont contaminé presque toute la société suisse, la situation devient incontrôlable. Alors que la présence de l’adhésion dans les options reconnues augmentait les chances d’une voie moyenne, la restriction des possibles à un choix binaire augmente fortement le risque de voir la Suisse finir dans l’isolement complet.
Le peuple n’est pas si sot qu’il ne faille jamais lui dire la vérité, même dans une démocratie semi-directe. Si modestes que soient les objectifs du Conseil fédéral dans sa définition du destin helvétique, ils ne pourront être atteints sans la reconstruction d’un sentiment d’appartenance au projet européen. Même l’aménagement du statu quo n’échappe pas à cette exigence. Le gouvernement serait donc bien inspiré de construire sans tarder un discours positif montrant en quoi l’Union sert aussi les intérêts de la Suisse et combien sa réussite doit être encouragée. Reste la question centrale : en a-t-il encore la capacité ?