Parce qu’elle interroge la Suisse sur des choix existentiels, l’initiative No Billag tourmente les esprits. Parmi les questions controversées, celle d’un éventuel Plan B sauvant la SSR en cas d’acceptation est fondamentale. Dans son analyse du 29 janvier publiée dans Le Temps, Marc Comina plaide pour une interprétation douce de l’initiative, qui la réduit à une simple incitation aux réformes de la SSR ne menaçant en rien son existence. Pour ce faire, il introduit la notion d’« application light », qu’il déduit du traitement réservé par le parlement à l’initiative « contre l’immigration de masse », acceptée en 2014.
Hélas, pour qu’une telle stratégie puisse être adoptée, il convient que le texte soumis au scrutin contienne des ambiguïtés ou des zones d’ombre, qui permettent différentes interprétations et donnent au parlement des marges de manœuvre. Autrement dit, la loi ne peut contredire frontalement une disposition claire de la Constitution, la hiérarchie des normes devant être respectée.
Or, parfaitement explicite, le texte de « No Billag » n’offre aucune échappatoire. Non seulement il interdit le prélèvement d’une redevance radiotélévision, mais aussi tout subventionnement par la Confédération. Les seules exceptions tolérées sont la diffusion de communiqués de presse urgents contre payement ou l’exploitation d’une chaîne en temps de guerre. Il s’agit donc bien d’une liquidation de la SSR, que même la plus haute créativité du parlement ne saurait empêcher.
En fait, la question du Plan B est celle du sens de la démocratie directe. Par nature, le droit d’initiative pose un vrai dilemme. Soit un scrutin constitue un simple sondage d’opinion, autorisant à peu près n’importe quelle mise en œuvre. Et, dans cette hypothèse, le pouvoir réel du peuple s’efface, tandis que les initiatives deviennent de sympathiques prises de température, compatibles avec tous les Plans B imaginables et capables de digérer même les propositions les plus extrêmes. Soit chaque votation est considérée comme une décision ayant force de loi, où les dispositions inscrites dans la Constitution doivent être respectées autant que faire se peut. Et, dans cette lecture sérieuse de la démocratie directe, le contenu des initiatives ne saurait être traité à la légère, le peuple exerçant par ses choix une action forte sur le destin de la Suisse.
En niant la portée de leur propre texte, les partisans de No Billag jouent un jeu dangereux. Que vaut une démarche incitant les citoyens à dire oui, tout en les assurant que leur vote ne sera pas vraiment suivi d’effets ? Que deviendra la démocratie, si l’initiative devait être acceptée par un peuple persuadé qu’elle ne dépassera pas la stimulation d’indispensables réformes ? Premier scénario, la Constitution est respectée et le financement public des chaînes disparaît. La chute automatique de la SSR trahira tous ceux qui ne souhaitaient pas sa mort. Furieux, les Suisses se sentiront floués en voyant leurs émissions s’interrompre. Second scénario, la Confédération continue de subventionner la SSR pour éviter son démantèlement. L’article adopté et la majorité des votants subiront alors une violation crasse. La Constitution aura été abaissée au rang de papier programmatique sans importance.
Quelle que soit l’option choisie, toute mise en œuvre de l’initiative s’effectuera donc au détriment du droit d’initiative. Soudain, il perdra son statut de mythe et laissera voir son vrai visage. Celui d’un masque de carnaval qui fait peur s’il représente la réalité, mais dont le succès grandit quand il n’est pas pris au sérieux. En clair, même si les partisans de No Billag ne parviendront probablement pas à précipiter la SSR sous la lame de la guillotine, par le tranchant de leur texte et surtout le refus de l’assumer, ils ont déjà conduit la crédibilité de la démocratie directe au pied de l’échafaud.
En refusant l’EEE le 6 décembre 1992, la Suisse s’est malheureusement infligé une triple peine. Premièrement, elle a effectué dans la souffrance une intégration que le non n’a pas évitée. Deuxièmement, elle a dû se contenter d’un vaste bricolage au lieu d’un contrat stable avec l’Europe. Enfin, elle s’est enfoncée dans une série de confusions politiques et mentales, sa décision n’ayant en rien clarifié le débat intérieur.
Au lendemain du « dimanche noir », comme l’a qualifié le Conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz, les Suisses se précipitèrent à Bruxelles pour obtenir l’accès au marché européen qu’ils venaient pourtant de refuser. Ne nous oubliez pas, nous sommes de futurs membres du club, ce vote n’est qu’un malentendu, répétèrent-ils, tourmentés par la crainte d’une marginalisation économique. S’ouvrit alors une décennie de marchandages complexes, qui déboucha sur les accords bilatéraux 1, acceptés par les citoyens en 2000. Comprenant notamment la libre circulation des personnes, ce premier paquet permit à une Suisse qui stagnait de retrouver la croissance. Cinq ans plus tard, une nouvelle série d’accords vint compléter la précédente, installant la Confédération dans l’espace Schengen. D’autres coopérations suivirent, dans une sorte d’intégration à froid, où chaque pas préparait le suivant. Aujourd’hui, notre pays est profondément intriqué dans l’Union, parfois davantage que certains Etat membres. « L’œuf suisse est dans l’omelette européenne », comme l’a rappelé récemment Pascal Lamy sur les ondes de la RTS. Si donc le rejet de l’EEE était d’abord celui de l’intégration, il n’a servi qu’à compliquer un processus aussi inéluctable que bénéfique.
A l’inverse, si le refus de 1992 se voulait davantage celui du contrat que du contenu, le résultat n’est guère enthousiasmant. Lourds, complexes, statiques, obscurs, précaires, les accords bilatéraux constituent moins une voie royale qu’un chemin caillouteux, sur lequel le chariot helvète menace de se renverser à chaque votation. A tel point qu’un nouveau cadre institutionnel se profile, qui ne pourra manquer de ressembler au contrat proposé voilà vingt-cinq ans, même si toute ressemblance avec l’objet refusé sera vigoureusement niée.
Dernière déconvenue, durant ces vingt-cinq années, les querelles dans l’approche et la gestion de la question européenne n’ont cessé de s’exacerber. Plus divisée que jamais, la société suisse cultive les contradictions. Aveugle, elle attribue souvent son confort à son éloignement de l’UE, alors qu’elle prospère au cœur de son territoire. Naïve, elle croit sa liberté supérieure à celle des Européens, bien qu’elle soit la seule à reprendre le droit européen sans jamais participer à son élaboration. Nonchalante, elle s’adonne à l’europhobie, sans voir combien le projet européen constitue le meilleur rempart contre l’émergence des régimes autoritaires, la déconstruction des coopérations internationales et la remise en cause des Droits humains.
Certes, ces phénomènes ont des causes multiples. Il n’en reste pas moins que trouver une conséquence positive au rejet de l’EEE est difficile. En matière de politique européenne, le bilan de ces deux dernières décennies est même affligeant : une gigantesque perte d’énergie, au seul profit d’un nationalisme grandissant. Autrement dit, aucune des questions de 1992 n’est réellement résolue. Dans un tel contexte, peut-être serait-il temps d’abandonner les discours lénifiants pour oser quelques vérités ? Par nature, la Suisse est un pays profondément européen. Après vingt-cinq ans, l’empilement au coup par coup d’accords sectoriels statiques ne fonctionne plus. Indispensable, un nouveau cadre institutionnel doit être mis en place. A terme, seul le statut de membre de plein droit de l’UE donnera à la Suisse la codécision assurant une défense efficace de ses intérêts et de sa démocratie.
Longtemps, la Suisse cultiva un nombrilisme paisible. Certes, elle n’hésitait pas à dépasser ses frontières, mais toujours pour développer son économie, sans penser l’histoire, ni se sentir concernée par ses flux. Elle s’affichait moderniste, dans le style de l’Expo 64, mais se peignait aussi en « Sonderfall », protégé des évolutions extérieures. Ainsi, emmaillotée de certitudes, elle ne comprit pas les mutations de son propre continent. Ni la naissance de l’Europe, ni sa croissance rapide, ni la chute du Mur de Berlin, ne furent perçues comme pouvant infléchir son destin. C’est donc une Suisse légèrement hébétée qui dût se prononcer sur l’Espace Economique Européen. Dynamiques, ses voisins lui soumettaient un projet commun, alors qu’elle se pensait unique. Chamboulé, le monde lui demandait une réponse, quand elle n’avait pas de question.
Le non du 6 décembre 1992 enterra ce nombrilisme naïf, tout en lançant une longue bataille entre réflexion critique et raidissement nationaliste. Côté ouverture, la Suisse court à Bruxelles pour obtenir l’accès au marché européen qu’elle vient pourtant de refuser. Simultanément, une initiative populaire demande un nouveau vote sur l’EEE. Par ailleurs, l’affaire des fonds juifs déchire le pays. Cette fois, c’est le passé qui se lézarde. La petite Suisse vaillante et neutre durant la Seconde guerre mondiale aurait-elle fait fortune sur le dos des victimes de l’Holocauste ? Côté repli, les accords bilatéraux, palliatifs précaires, sont présentés comme une « voie royale » réglant la question européenne. Fusillée par les conservateurs et les banquiers, l’initiative demandant l’ouverture de négociations d’adhésion est sèchement rejetée. Contesté par les identitaires, le travail remarquable de la Commission Bergier est passé sous silence. Reniant ses promesses aux Européens, le Conseil fédéral décide que l’adhésion n’est plus un objectif stratégique.
Aux plans culturel et politique, cette séquence se solde par un triomphe du nationalisme. Vingt-deux ans après le refus de l’EEE, l’UDC, ses fantasmes et son vocabulaire dominent le pays. Chaque accord passé avec l’Union a été présenté comme le prix à payer pour ne jamais la rejoindre. La démocratie directe est mythifiée. La finalité de la Suisse se résume au rejet de l’Europe. Tout est donc prêt pour une nouvelle catastrophe. Le 9 février 2014, l’initiative « contre l’immigration de masse » est approuvée. C’est donc une Suisse à nouveau hébétée qui voit entrer dans sa Constitution une norme sabotant le bilatéralisme qu’elle a tant célébré.
Quand le nationalisme conduit la société dans le mur, il faut le stopper. Mais la Suisse n’a pas eu ce courage. Elle préfèra tomber dans une sorte de « nihilisme européen », visant à escamoter la réalité à laquelle elle vient de se heurter. Première étape de ce travail de négation collective, le Conseil fédéral disparaît des écrans radars. Sous couvert de négociations avec l’UE, il laisse le Parlement se débrouiller avec les conséquences du 9 février, tandis que son ministre des Affaires étrangères s’exfiltre discrètement. Deuxième étape, le Parlement adopte une loi n’appliquant qu’à la marge les mesures approuvées en votation, mais s’accommode du maintien dans la Constitution d’un article menaçant la relation bilatérale. Troisième étape, la campagne pour la succession de Didier Burkhalter confirme de manière éclatante qu’il est désormais politiquement correct et valorisant de nier la question européenne.
Hélas, mélange d’aveuglement et de cynisme, ce nihilisme n’est pas inerte. Il produit de multiples effets. Tout d’abord, il favorise l’acceptation d’une nouvelle initiative isolationniste. Et même si un choc dans les urnes parvient à être évité, il entretient une vitrification des esprits qui empêchera tout rebond. De plus, il sort la Confédération du camp qui défend les valeurs européennes et la place de facto aux côtés des Trump, May, Poutine et autres Erdogan. Enfin, il ruine l’entier du champ politique suisse. Croire qu’il est possible de laisser la question européenne en déshérence tout en relevant les défis du 21ème siècle est une illusion. Penser que les Affaires étrangères constituent un secteur de moindre importance est une faute. L’actuel nihilisme européen affecte en profondeur la nature de la Suisse, son identité et sa capacité d’action. S’il n’est pas rompu rapidement, il laissera le champ libre à une régression globale de la Confédération. Quand l’idée de nationalisme triomphe, le principe de l’Etat s’affaiblit.
Or rien dans l’europhobie actuelle ne bougera tant que le Conseil fédéral ne sonnera pas la charge. C’est à lui de combattre le cynisme et de fixer un cap. Et dans ce réveil nécessaire, le DFAE joue un rôle stratégique. Sa pensée et sa parole seront déterminantes pour amorcer l’éradication du nihilisme européen ou s’en accommoder. Pivot entre une démocratie populiste isolée et une société ouverte et prospère, le DFAE tiendra demain dans ses mains une part essentielle du destin de la Suisse.
Les défis qu’affronte le nouveau président de la République française sont immenses. Les attentes légitimes des habitants sont considérables. Aujourd’hui, nul ne sait s’il parviendra à réconcilier et relancer son pays. Stupéfiante, sa trajectoire est la résultante de multiples facteurs. Toutefois, une constante apparaît tant dans sa conquête de l’Elysée que dans ses premiers pas au pouvoir. En revendiquant la complexité des problèmes tout en rejetant les cadres établis, il recourt à la force politique la plus ancienne, mais aussi la moins usitée : la liberté. Ce retour aux sources inspirera-t-il la Suisse ?
A chaque étape, la démarche d’Emmanuel Macron montre un homme libre. Sortir du rang, créer un mouvement au-dessus de la mêlée, gagner la présidence sans l’appui des vieux appareils, régénérer la vie publique en proposant d’élire à l’Assemblée nationale une foule de candidats sans passé politique, composer un gouvernement émancipé des règles traditionnelles, autant de ruptures dont beaucoup rêvaient tout en les croyant impraticables.
Or, ces libérations des énergies ont été rendues possibles par la répétition de vérités qui ont balayé des illusions perçues jusque alors comme des évidences. De manière paradoxale, c’est parce que le candidat Macron a dit ce qu’un politicien doit normalement taire qu’il a marqué l’opinion. A la surprise de ses concurrents, c’est en décapant le réel qu’il s’est inscrit dans la réalité. La politique n’est pas toute puissante. La République ne peut pas garantir la survie d’une entreprise privée. L’Europe n’est pas un problème mais une solution. La France ne doit pas se situer face à Berlin mais avec Berlin. L’intérêt du pays est bien supérieur à celui des partis. La protection des êtres humains prime sur celle des idéologies. Le catastrophisme ne produit rien contrairement à l’espoir basé sur la quête de solutions.
A l’inverse des provocations populistes qui tuent la pensée, ces vérités ont ouvert le champ de la réflexion. Iconoclastes, elles ont bousculé les fausses certitudes. Fécondes, elles ont travaillé les esprits, déplacé les points de vue, fait tomber des cloisons, créant ce mouvement sans lequel aucun progrès n’est envisageable. Certes, tout reste à faire pour un président français qui sera jugé sur ses résultats. Toutefois, il a enclenché une dynamique liberté, vérité, mobilité, qui est déjà en soi un acquis.
Pour les Suisses, cet élan est particulièrement troublant. Au pays des montagnards qui se croient indépendants, les hommes libres sont rarissimes, les discours restent enkystés dans les mythes et l’immobilisme constitue un but en soi. En tout cas, nombre de vérités sont recouvertes par de pieux mensonges. Ainsi, on qualifie l’UDC de parti conservateur, voire agrarien, alors qu’il s’agit d’un bloc identitaire europhobe et xénophobe, inapte à la concordance. Plus frappant encore, un voile pudique cache les dysfonctionnements avérés de la démocratie directe. Bien que tout politicien intègre sache que ce système appelle des réformes, il est porté aux nues, paré de fausses vertus et donné fièrement en exemple.
Enfin, la tromperie la plus spectaculaire concerne l’Union européenne. Dans l’espoir d’en profiter, les Suisses prient en cachette qu’elle réussisse. Mais en public, ils ne savent que la dénigrer. Pire, la majorité des élus pratique le discours nationaliste, qui en fait une ennemie. Aux défis que le 21ème siècle pose à toutes les démocraties, la Suisse ajoute donc celui de sortir d’un mensonge collectif devenu le plus grand frein à l’évolution des esprits. Qui débarrassera la Confédération des fables qui la paralysent ? En fait, rien n’empêcherait un Conseiller fédéral de rappeler que la Suisse est européenne, que son intérêt est de poursuivre son intégration dans l’Union et qu’elle a, de surcroît, le devoir de contribuer à son succès, même s’il implique des réformes. Il parlerait ainsi en homme libre, rétablissant la vérité. Et si les mots lui manquent, ceux d’Emmanuel Macron sont disponibles.
Certes, la démocratie directe n’est pas en soi un moteur du populisme. Si elle fonctionne bien, elle peut même contribuer à le contenir. Malheureusement, telle qu’elle s’exerce en Suisse, c’est-à-dire sans le moindre garde-fou, elle lui sert de catalyseur. Dans ce débat, le référendum n’est pas concerné. Instrument de contrôle du législateur, il se borne à lui renvoyer sa copie, quand les citoyens la jugent inadéquate. Tout autre est le droit d’initiative, qui permet pratiquement à n’importe quelle idée de faire irruption sur la scène publique.
Or ce mécanisme n’est pas neutre, en termes politiques et sociologiques. Par nature, l’initiative a des vertus asymétriques. Elle est inopérante pour mettre en place une réforme approfondie. A une proposition forcément complexe, chacun peut trouver au moins une bonne raison de dire non. Par contre, elle est d’une efficacité redoutable pour rassembler les mécontents sur une idée simple. En proposant des mesures brutales, en désignant des fautifs, en agressant les institutions, elle augmente considérablement ses chances de succès. En fait, l’instrument donne sa pleine mesure quand il coïncide avec le populisme : simplisme outrancier, stigmatisation de certains habitants, croisade contre le système.
Deuxièmement, nul n’est besoin qu’une proposition triomphe pour qu’elle marque la société. Dès qu’une idée, même aberrante, a réunit les signatures exigées, elle se transforme en débat légitime, auquel ni les partis, ni les médias, ni les citoyens ne peuvent se soustraire. Et plus l’initiative est agressive, plus elle attire l’attention. Actuellement, aucune barrière ne protège les droits fondamentaux ni la démocratie elle-même d’une attaque en votation. Des mesures discriminatoires ou liberticides peuvent occuper fièrement la place publique sous couvert de bonne démocratie, alors qu’elles n’auraient pas dû quitter les milieux extrémistes qui les agitent.
On répliquera qu’un débat validé par cent mille signatures devient pertinent. Hélas, il est facile de séduire en désignant des boucs émissaires, de surcroît en demandant un paraphe qui n’engage à rien. De plus, la barre qui doit être franchie est aujourd’hui dérisoire : cent mille signatures ne représentent plus que 1,9% des citoyens. Dans une société numérique où la diffusion de documents via les réseaux sociaux est d’une facilité inouïe, le droit d’initiative est devenu un outil de marketing, facilitant par nature la promotion de thèses haineuses et brutales.
Les résultats sont là, incontestables. Dans une Suisse où les citoyens ne cessent de voter, l’UDC est devenue le premier parti en affirmant que les élites confisquent le pouvoir. Dans une Confédération qui se pense exemplaire, le Conseil fédéral a peur du peuple et s’abrite derrière les travaux du Parlement, dont la légitimité est niée par les populistes. Dans un pays qui se croit tolérant, le simple examen critique d’institutions datant du 19e siècle est devenu une trahison. Autrement dit, la démocratie directe n’a pas exercé d’effet préventif sur le développement des idées populistes, mais a contribué à les inscrire dans l’ADN citoyen. Ainsi, ce n’est pas l’UDC qui a perverti l’initiative, mais la rusticité de cet instrument mythifié qui a favorisé son succès. Protéger la dignité humaine, adapter le fonctionnement du droit d’initiative pour qu’il retrouve un rôle de stimulant constructif plutôt que de jerrican au service des incendiaires populistes, ces réformes sont nécessaires et possibles. La démocratie n’est pas une structure vide, mais une démarche vivante, une intention de la société, une recherche de civilisation. Dans cette optique, ses institutions ne sont jamais innocentes et toujours perfectibles.