Sans surprise, le dernier sondage de l’institut Gfs met en évidence une tendance déjà identifiée dans de précédentes études : les jeunes Suisses semblent moins europhiles qu’auparavant. Si l’interprétation des chiffres recueillis appelle la prudence, il est certain que les temps ont changé. A l’enthousiasme des jeunes de 1992 pour la construction européenne succède, aujourd’hui, l’indifférence, voire une approche très critique de la génération montante.
Certes, il serait tentant de ne voir dans cette méfiance que la conséquence passagère des difficultés que traverse l’Union. Toutefois, des phénomènes plus profonds sont à l’œuvre. Premièrement, les jeunes Suisses sont devenus Européens sans le savoir et sans que nul ne s’avise de le leur dire. Sans entrave, ils se meuvent dans les pays voisins pour leurs études, leurs projets, leurs loisirs. Pour eux, développer une activité dans un pays de l’Union ressemble à se lancer dans un canton voisin. Ils n’ont pas la mémoire des frontières disparues, ni la crainte qu’elles reviennent limiter leurs mouvements. Autrement dit, ils ne voient pas de relation directe entre l’UE, objet politique, et l’espace européen, vaste zone de libertés. De même, ils méconnaissent le lien existant entre les accords bilatéraux et leur propre accès à cet espace.
Deuxièmement, l’isolement politique de la Suisse leur a été souvent présenté comme la raison de son succès économique, alors que celui-ci résulte au contraire et en bonne partie des cent cinquante accords signés avec Bruxelles. Ainsi, l’intégration européenne leur apparaît comme une hypothèse peu attrayante, quand elle constitue déjà une réalité aux bénéfices occultés.
En fait, les jeunes Suisses sont victimes de la lâcheté de leurs aînés. Qui les informe sur les enjeux européens ? Qui leur présente l’histoire, le sens, les objectifs de l’Union ? Quels messages reçoivent-ils au quotidien mis à part les cris des nationalistes ? Par confort et par crainte des populistes, les dirigeants de la Suisse n’évoquent plus son destin sur son propre continent. Ni le Conseil fédéral, ni les exécutifs cantonaux, ni les administrations, ni les partis n’ont le moindre mot à dire aux jeunes pour former leur conscience européenne. La défense de l’intégration et de ses valeurs repose désormais sur une poignée de parlementaires fédéraux lucides, ainsi que sur les associations telles que le Nouveau mouvement européen suisse (Nomes).
Or, qu’il s’agisse de la mise en œuvre de l’article contre l’immigration, de son amendement, de son abrogation, d’un accord-cadre institutionnel ou d’une initiative isolationniste, un nouveau vote interrogera le peuple. Comment l’ancrage européen gagnera-t-il demain sans être défendu aujourd’hui ? Une société meurt quand elle cache son visage à ses enfants.