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Fragilisée, la démocratie directe exige de nouvelles règles

La force d’un mythe est d’échapper à la critique, mais sa faiblesse tient également à l’omerta qui l’entoure. La Suisse d’aujourd’hui vérifie ce paradoxe, tant ses composantes identitaires sont interrogées. La neutralité est remise en cause par l’agression russe qui rend toute passivité coupable. La démocratie directe est chamboulée par la récente découverte que certains scrutins ont peut-être été obtenus grâce à de fausses signatures. Ces possibles escroqueries appellent une réaction vigoureuse, mais aussi une évaluation de la démocratie directe n’escamotant pas ses limites ni ses exigences.


Tout d’abord, les votations découlant d’un référendum ou d’une initiative découpent la volonté populaire en décisions ponctuelles qui peuvent s’avérer contradictoires. Ce pointillisme politique plein d’incertitudes freine les visions à long terme et génère des blocages récurrents. En matière d’immobilisme, le prix de la démocratie directe est élevé. De plus, ses vertus sont asymétriques. Elle valorise les protestations simplistes, mais enterre souvent les projets complexes. Une mesure brutale agglomère des colères disparates et engrange aisément des soutiens, alors qu’une réforme toujours imparfaite additionne les raisons d’être rejetée. En Suisse, le succès du populisme doit beaucoup au lancement répété d’initiatives nationalistes, xénophobes ou antisystèmes, qui structurent les débats et formatent les consciences même quand elles échouent dans les urnes. Enfin, la célébration de la démocratie directe tend à démonétiser le travail du Parlement. Plus les votations occupent le terrain, moins les élections paraissent importantes.


A ces inconvénients structurels s’ajoute le développement démographique. Alors que le nombre de citoyens a augmenté de manière considérable, le nombre de signatures nécessaires pour déclencher un scrutin reste très bas. On observe donc une augmentation des référendums contestant une loi, mais surtout une prolifération d’initiatives sur tous les sujets. Ce droit est devenu l’instrument de marketing préféré des professionnels de la politique et de la communication. Qui dispose des moyens financiers nécessaires et veut occuper l’espace public, recruter de nouveaux membres ou s’offrir une campagne de publicité sur plusieurs années doit lancer une initiative. De nombreuses entreprises sont prêtes à se charger de la récolte des paraphes.


Par nature, la démocratie directe n’est ni parfaite, ni sans risque. Elle exige un engagement soutenu de la société et une réelle abnégation des institutions. Il faut rappeler qu’une initiative validée mobilise parfois fortement les médias, les partis, les associations, l’économie, l’administration, le Parlement, le Conseil fédéral et bien sûr les citoyens. Un processus aussi vaste et de surcroît fréquent exige un minimum de sérieux, excluant au moins l’usage aisé de fausses signatures. Faute de quoi, le système deviendra insoutenable. Il convient donc d’interdire sans tarder le paiement à la signature, véritable incitation à la fraude, ainsi que les officines vivant de la récolte de paraphes. Toute organisation désireuse de lancer une initiative ou un référendum pourra toujours engager des stagiaires, dûment déclarés, pour mener à bien son projet. De même, la photocopie des formulaires pour constituer un réseau, effectuer de la récolte de fonds ou, pire, reproduire les signatures doit être pénalement poursuivie. Enfin, sachant qu’il est impossible pour les villes de garantir l’authenticité d’un paraphe si les données qui l’accompagnent sont exactes, il importe que des vérifications directes auprès des signataires soient régulièrement effectuées.


La démocratie directe a moins besoin de nos louanges que de nos soins. Si elle incarne le génie helvétique, alors elle doit rester crédible. Peut-on espérer que la Confédération instaure des règles strictes l’empêchant de tourner à la pantalonnade ?