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La banalisation de l’UDC fragilise la Suisse

Curieux, les Suisses aiment porter un regard acéré sur les pays voisins. Rien ne leur plaît davantage que l’examen sans complaisance de la politique française ou des stratégies allemandes. L’inquiétante montée des théories simplistes et des postures radicales sur notre continent ne leur échappe donc pas. Par contre, l’impact de l’UDC ne semble pas les déranger. Pourtant, les convergences entre les populistes suisses et les extrêmes droites environnantes ne sont pas anodines. Xénophobie, europhobie, attaque des institutions, admiration des autocrates et complaisance avec la Russie, ces obsessions sont communes.

Face à cette réalité, les Suisses s’efforcent de banaliser la nature de l’UDC et de ses fantasmes. Tel média qualifie le parti d’agrarien. Tel autre valide sa prétention d’incarner la volonté populaire. Une provocation indigne reste acceptable quand elle émane des populistes suisses, alors qu’elle choque si elle provient de leurs collègues européens. Autrement dit, un travail collectif est effectué pour considérer l’UDC comme un simple parti conservateur, inscrit dans les gênes helvétiques et n’empêchant pas le pays de réussir.

Or cette peinture est fautive. L’UDC est tout sauf une formation conservatrice. Disruptive, ce qui fonde sa valeur médiatique, elle opère une lente mais soigneuse destruction du pragmatisme qui a fait le succès de la Suisse. Au plan européen, elle a fait glisser une Confédération prudente mais ouverte dans un nombrilisme déraisonnable que les Européens renoncent à comprendre. Imprégnant la culture politique et contaminant jusqu’aux syndicats, son souverainisme stérile a favorisé une rupture insensée des négociations avec l’Union européenne. Aujourd’hui, la Suisse est écartée des programmes de recherche et des réseaux européens si précieux pour l’ensemble du biotope vivant de l’innovation. Et nul ne sait quand ni comment ces dégâts seront réparés.

Au plan démographique, l’UDC a instillé puis structuré une peur de l’immigration qui se paiera cher. Célébrant un paradis alpin villageois, elle a fait de l’accroissement du nombre d’habitants un tourment. Demain, alors que les pays voisins attireront la main d’œuvre utile à leur économie, la Suisse se divisera une fois de plus sur une prétendue surpopulation au lieu de se réjouir de son dynamisme. Enfin, s’agissant de la démocratie, elle a imposé la fable des élites ignorant le peuple dans un système où ce dernier vote à tour de bras et à tous les niveaux. En fait, toute institution susceptible de ne pas avaliser son discours est coupable. Ce n’est pas pour rien que l’UDC persiste à vouloir couper les ailes de la SSR, malgré le fort soutien que les citoyens lui ont accordé dans les urnes.

On est donc loin d’un traditionalisme qui se bornerait à freiner le progrès tout en conservant l’acquis. La modération et surtout la capacité d’adaptation qui ont tant servi le pays sont remplacées par des croisades idéologiques qui le déchirent. Face à ce travail de sape, on peut s’interroger sur la banalisation d’une force qui aggrave durablement les problèmes. La réponse tient à la volonté de préserver le système sans devoir l’interroger. Si l’UDC était présentée dans sa dangerosité, des questions surgiraient. A-t-elle vraiment sa place au Conseil fédéral ? Que l’on soit de gauche ou de droite, peut-on siéger à ses côtés ou faire alliance avec elle ? Quelle est la vertu d’une concordance devenue purement formelle si elle contribue à blanchir l’extrémisme ?

L’opinion vit dans l’illusion qu’intégrer les nationalistes au gouvernement les neutralise et garantit la prospérité. Hélas, l’UDC ne peut exister que par des propositions brutales contraires au bien commun. En clair, le système protège les populistes suisses qui en retour le déconstruisent. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde » écrivait Camus. Tant que la nature et l’action de l’UDC seront habillées d’euphémismes rassurants, son succès ne sera pas démenti et celui de la Suisse fragilisé.