Le populisme, redoutable méthode de captation du pouvoir
Certes, l’élection de Donald Trump est le résultat d’une somme de facteurs, dont certains sont spécifiquement américains. Toutefois, elle s’inscrit aussi dans une chaîne d’événements qui voient les fantasmes et les leaders qualifiés de populistes triompher. Mais qu’est-ce que le populisme ? Une simple expression à la mode ou un mécanisme politique précis ?
Deux fausses pistes
D’emblée, éliminons les fausses pistes. Pour certains, le populisme ne serait pas un phénomène politique, mais une simple réponse mécanique aux déficits démocratiques. Son actuel succès reposerait sur l’impossibilité pour nos contemporains de se faire entendre. Ce postulat ne repose sur rien.
En réalité, le temps béni d’une démocratie parfaite, sans tension, contrôlée par des citoyens satisfaits, n’a jamais existé. Au contraire, un regard en arrière, par exemple sur les années cinquante, montre des administrés dociles face aux pouvoirs, peu consultés, ainsi que des grands partis qui décident de tout, sans état d’âme. Aujourd’hui, portés par le besoin de transparence et les nouvelles technologies, les débats sont plus vastes, plus intenses, plus insolents, interpellant de manière directe les élus. Mieux, la plupart des décisions prises par les autorités le sont après des examens de l’opinion, qui ne se pratiquaient pas auparavant (sondages, questionnaires, enquêtes, études d’impact, commissions citoyennes, groupes de travail). Enfin, le populisme n’est pas absent de sociétés très participatives, comme la Suisse. Dans un pays où les citoyens votent chaque trimestre sur une ribambelle de sujets, le premier parti est l’UDC, dont le credo est la stigmatisation d’élites accusées d’ignorer le peuple.
Seconde fausse piste : le populisme n’est pas le corollaire de la misère. Dire qu’il est la voix des prolétaires protestant contre la pauvreté n’a pas de sens. En effet, il existe des pays pauvres sans leaders populistes. A l’inverse, certains triomphent dans des pays riches. A nouveau, la Suisse en est la preuve. De la même manière, un mouvement populiste n’est pas la somme des défavorisés. Ses membres peuvent être bien protégés, voire privilégiés. En Suisse, une étude a montré que l’UDC recrutait dans toutes les couches de la société (P. Gottraux et C. Péchu, Militants de l’UDC, la diversité sociale et politique des engagés, Antipodes, 2011). Aux Etats-Unis, les experts ont montré que les bas-revenus ont choisi en majorité Hillary Clinton (qui a recueilli 2,5 millions de voix de plus que son adversaire). On peut rouler en Bentley et voter Trump ou Blocher.
Une méthode pour mobiliser
Le populisme est un fait, parce qu’il est possible de l’observer et de le caractériser. Naturellement, il est faux de coller l’étiquette de populiste à n’importe quelle situation ou personnalité, pourvu qu’elle soit choquante ou simplement populaire. Ainsi, l’extrême droite ou l’extrême gauche ne sont pas forcément populiste. De même, un souverainiste, un nationaliste, un raciste, un marxiste, n’est pas par définition un populiste. Idem pour un opportuniste, un lâche, un démagogue, un vantard, un macho, un menteur, un imprécateur. Abuser du vocable fait douter de sa pertinence, alors qu’il recouvre des paramètres précis, visibles sur le terrain.
Constat de base, les contenus idéologiques sont peu nombreux : simples, grossiers, flous, ils additionnent des thèses caricaturales, empruntées à gauche ou à droite et sciemment déformées. Par contre, les stratégies sont étonnement semblables : toujours un leader se proclame seul représentant du peuple opprimé par les élites et veut renverser la table. De plus, les armes utilisées sont toujours les mêmes : simplisme, violence, désignation de boucs émissaires, invention d’ennemis extérieurs, agitation des peurs, prévisions apocalyptiques, dérision et moqueries, mise en scène narcissique, recherche obsessionnelle de la visibilité. En clair, le populisme n’est pas une idéologie, mais une méthode pour occuper le terrain, mobiliser des troupes et capter le pouvoir. En fait, elle joue une valse à trois temps.
Diabolisation des élites
Premièrement, une mobilisation se forme autour d’un leader, qui crie que « le peuple » pur, sain, juste, innocent est opprimé, bafoué, privé de ses droits par « des élites » méprisantes, truqueuses, corrompues. Clivant la société, cette accusation permet d’inventer un groupe de comploteurs haut placés, malfaisants, sans jamais le définir. Qui sont ces fameuses élites ? Les élus, les juges, les journalistes, les universitaires, les professeurs, les avocats, les médecins, les artistes, les peoples, les stars du foot, les banquiers, les patrons ? Un intellectuel pauvre en fait-il partie ? Et quid d’un artisan riche ? En fait, il s’agit d’un concept creux, tant chacun est à la fois « en situation de décider » et « sujet de décision », « plus haut » et « plus bas » sur l’échelle sociale que ses voisins.
Sauvetage du peuple
Deuxièmement, le leader populiste se prétend l’unique représentant du peuple. Mes concurrents sont illégitimes, dit-il, car ils défendent les élites. De même, ajoute-t-il à ses fans, vous seuls êtes le vrai peuple, les autres ne sont rien, ce sont des parasites qu’il faut écarter. Ensemble, nous y parviendrons, ensemble nous redresserons le pays. Or, le peuple, en tant qu’entité homogène, n’existe pas. C’est une abstraction qui permet à la démocratie de fonctionner. Nul ne peut se l’approprier. En réalité, le corps des votants est formé d’une multitude d’individus différents, dont les attentes sont diverses et contradictoires.
Mission sacrée
Enfin, le leader verticalise sa démarche. Au nom de sa mission sacrée, il a le droit de s’affranchir des règles. Justicier, il peut se placer au-dessus des lois pour rétablir la Loi. Dans une attitude de type putschiste, il s’autorise des comportements brutaux pour sauver la société. La force, cette ennemie de la démocratie, est son registre. Habilement, la mécanique populiste la retourne en liberté. Soudain, brutaliser le langage ou la loi devient une nécessité pour servir le peuple. Ainsi, l’autoritarisme du leader est légitimé.
Stigmatisations payantes
Cette méthode est d’une efficacité redoutable ! Séparant les bons des méchants, elle quitte le plan de la politique, pour se placer sur celui de la morale. Centralisée, elle laisse les mains libres au chef. Rageur, il agit comme un incendiaire qui met le feu à la maison, puis désigne le brasier qu’il vient d’allumer. Instinctif, simplificateur génial, il doit être pris au sérieux. Ainsi, il ne dérape jamais. Ses stigmatisations ne sont pas des provocations, mais des ciblages précis qui lui attirent à chaque fois de nouveaux publics. Alors que les partis classiques tentent de fédérer par inclusion, le populisme rassemble par exclusion. Sciemment, il désigne du doigt des personnes qu’il présente comme des parasites (immigrants, noirs, juifs, musulmans, homosexuels, universitaires, artistes, assistés sociaux). Et ceux qui se réjouissent de les voir accusées rejoignent le leader. Nul besoin d’être pauvre pour le suivre. Tous les publics peuvent être séduits. Sans doute, le sentiment qu’une souffrance psychologique ou matérielle trouve pour la première fois un écho favorise l’adhésion à la violence : nombre d’abstentionnistes quittent leur passivité, quand les cris d’un populiste instrumentalisent leur mal être.
Le danger augmente
Demain, le populisme risque de se renforcer. Mutation irréversible, la société numérique lui offre des avantages énormes. Autant un parti classique ne pourra jamais expliquer en 140 signes une politique migratoire ou la transition énergétique, autant le populisme peut gagner à coup de tweets et de mini vidéos. Or, sa victoire n’est jamais indolore. Même quand les institutions le canalisent, il abime la démocratie. De plus, il dégénère souvent en régime autoritaire, parfois en dictature. Qui tolère l’agression populiste par paresse ou par opportunisme s’endort sur un lit gagné par les flammes.