L’an dernier, la campagne de votation sur l’initiative UDC contre l’immigration de masse nous avait peint une Suisse en grande souffrance.
A entendre les uns et les autres, le pays était au bord de l’explosion sociale, tant les conditions de vie des habitants devenaient précaires. Même la gauche était tombée dans le piège tendu par les nationalistes en validant leurs diagnostics. Certes, elle s’opposait vivement aux contingents, mais elle voyait dans les élucubrations contre les travailleurs étrangers de mauvaises réponses à de vrais problèmes.
Or, stupéfaction, la première réaction à la victoire de l’UDC fut de proposer l’augmentation joyeuse des présumées souffrances helvétiques. Pour se passer des immigrés, on allait mobiliser les femmes et les retraités. Un sursaut collectif permettrait de mettre au travail les forces vives de la nation, rendant inutile l’apport des étrangers.
Aujourd’hui, nouvelle stupéfaction, le choc du franc fort suscite un réflexe similaire. Après une première vague de protestations, un consensus semble se dessiner pour travailler plus en gagnant moins.
Or, nul ne parvient à montrer ce que la Suisse gagnera en se privant de la libre circulation des personnes. De même, nul n’est en mesure d’expliquer l’intérêt d’une souveraineté monétaire fictive, puisque le franc est dépendant de l’euro, qu’il flotte ou s’arrime à ses flancs.
Dès lors, soit les Suisses ont le sentiment de ne pas travailler assez pour un salaire immérité. Soit ils aiment souffrir. Et si la deuxième hypothèse est la bonne, quel est le bénéfice secondaire de ce masochisme ?
En fait, le gain de cette péjoration économique et sociale volontaire est considérable, puisqu’il permet de nier l’extérieur. Penser comme si l’Europe n’existait pas ; faire campagne sans jamais parler d’elle ; réduire les choix politiques à des facteurs nationaux ; affirmer que les problèmes des citoyens peuvent être traités dans un petit périmètre rassurant ; autant d’artifices, mais quelles satisfactions!
Mentalement, la Suisse rejoint peu à peu l’Albanie d’Enver Hoxa. Exister, c’est se couper du monde, puis souffrir pour mériter le bonheur de la solitude. Jusqu’à quel degré d’absurdité et d’inconfort la Suisse poursuivra-t-elle l’expérience ?