Petites feuilles et grands écarts
Elles sont arrivées! Les petites feuilles dont dépend la composition du prochain Parlement sont dans nos mains. Formant un mince fascicule gris, elles glissent sous les doigts. Uniformes et neutres, elles attendent qu’un geste décisif les détache. Et le cœur cherche sous leur apparence d’officialité respectable l’invitation à construire demain.
Tourne alors dans la tête la valse des partis. Tourbillon des affirmations péremptoires. Carrousel des bannières qui cherchent à garder leurs clientèles tout en séduisant celles des autres. Et cette course folle à la bonne communication produit d’étranges effets.
Les Socialistes ont lancé le manège en déclarant l’UDC fréquentable et ses candidats au Conseil fédéral éligibles. A ce choc s’est ajoutée une campagne provocante risquant de générer ces votes protestataires qui tombent souvent dans l’escarcelle opposée. Faux calculs et bénéfices pour l’UDC. Par chance pour la gauche, Pascal Couchepin s’est appliqué à compenser les pertes. Brutal et menaçant, il n’a cessé d’apeurer la population âgée et les personnes économiquement faibles. Sur le terrain, les candidats radicaux ont dû écoper les vagues d’angoisse déclenchées par leur capitaine, meilleur agent électoral des Socialistes. Le PDC, lui, travaille pour toutes les autres formations. Chaque fois qu’il s’exprime, l’envie vient de voter ailleurs. Qu’il pense à gauche ou à droite, ses concurrents paraissent toujours mieux à même de défendre ses propres propositions. Quant à l’UDC, elle engrange. Les cris, les peurs, les illusions des petites gens, les fantasmes des banquiers, la force ou la faiblesse de l’Etat, les débats ou les silences de la classe politique, tout lui fait ventre.
Qui pense quoi sur ce carrousel destructeur de sens? A force de courir les voix dans un régime de circonstance où tous finissent au pouvoir, les partis oublient d’approfondir les finalités de leur activisme. C’est le grand écart entre visibilité et vision. Hormis l’UDC pour qui la négation des autres tient lieu de raison d’être, les partis vont devoir s’interroger. Que veulent-ils? Où vont-ils?
Les Socialistes peuvent-ils se limiter à une résistance au coup par coup dans un système qui souligne leur impuissance? ou bien préparent-ils un projet de société qui lie défense des droits sociaux et réformes institutionnelles? Les Radicaux ne sont-ils plus que les parrains de l’économie? ou bien gardent-ils le souci d’un Etat dont ils se flattent d’être les créateurs? Les PDC n’ont-ils pour seule valeur que celle de les déclamer toutes? ou bien oseront-ils enfin choisir leur camp et mettre en œuvre sans faiblesse leurs convictions?
« On vote pour des personnes, les partis ne nous intéressent plus » disent les passants qui refusent les tracts. Je crois à la dimension collective et fraternelle de la Cité. Dans le petit cahier gris, j’ai pris une liste. Je souhaite que sa signification politique dépasse le jeu des carrières et des factions.