Le feu sous la glace
Cris et chuchotements. Analyses et mises en garde. La concordance est morte, admettent certains. Il faut sauver le modèle suisse, s’indignent d’autres. Que sera l’élection du Conseil fédéral, un changement de régime ou un simple rééquilibrage des forces? Les ténors s’agitent. Les couloirs frémissent. Tout est possible, dit-on. Si tout est possible, alors tout doit être discuté. En termes politiques. Les scénarios du dix décembre ne peuvent être décantés qu’à l’aune des choix fondamentaux. Vision de l’Etat. Place en Europe. Institutions. Sur ces trois questions clés, les acteurs sont priés de se déclarer.
« Pourquoi voulez-vous qu’on manifeste contre une décision populaire » répond dans 24 Heures Eric Decarro, président du syndicat des services publics, quand on l’interroge sur une éventuelle mobilisation contre l’UDC. Acceptation d’une Suisse où le nationalisme serait incontournable. Oubli du 73% des votants qui n’ont pas donné carte blanche à la droite xénophobe. Ignorance du lien entre populisme et déconstruction de l’Etat. Refus de voir que l’actuelle résignation prépare les défaites à venir. Laissons faire. On parlera plus tard du rôle de l’Etat, du social et de la fiscalité.
En matière d’ouverture, Pascal Couchepin a clos le sujet lors de la remise de la médaille d’or de la Fondation Jean Monnet au président de la Commission européenne, Romano Prodi. « Entre la Suisse et l’UE, je crois qu’il est tout simplement impossible de s’arrêter de négocier ». Tel a été le seul credo européen du président de la Confédération. Pas un mot sur une éventuelle communauté d’intérêts. Pas trace de reconnaissance pour la paix instaurée par l’Europe au moment où elle s’élargit et se donne sa première Constitution. La permanence des négociations n’est revendiquée que pour mieux signifier la pérennité de l’isolement.
Au plan des institutions, que voit-on? Evocation d’une vraie réforme du système de gouvernement? Emergence de propositions pour une coalition de centre gauche? Définition d’un contrat de législature? Chutes des clivages au profit d’alliances sur le fond? Apparition de nouvelles pratiques? Dans neuf villes, des jeunes pro-européens ont distribué quinze mille tracts en faveur d’une Suisse ouverte et tolérante. Cette action devait rassembler les jeunesses des partis. Pour ne pas déplaire à l’UDC, les jeunes radicaux ont renoncé. Et les jeunes socialistes ont refusé de s’engager dans une opération qui associait les jeunes PDC.
L’agitation est à son comble. Mais l’immobilisme perdure. Les débats se ferment avant d’être ouverts. Le « tout est possible » ne sert qu’à masquer l’arrivée du pire. Une arithmétique glacée se profile. MM. Blocher, Schmied, Steinegger et Couchepin préparent le verrouillage du pays, tandis que le PDC s’attend à perdre un siège et que les deux Socialistes s’apprêtent à cautionner l’affaire. Les questions brûlantes sont enfouies sous une concordance cadavérique et mensongère. Il nous reste l’angoisse. Celle du feu sous la glace.