Le « Syndic cantonal » ou les sept erreurs de la Constituante
Au moment où la Constituante vaudoise va discuter en deuxième lecture la question du gouvernement, il est temps de se demander si le système retenu d’un » Syndic cantonal » est réellement pertinent. Deux événements soulignent l’importance de cette interrogation. D’une part, l’affaire Swissair révèle une fois de plus l’immense fragilité des collèges hétérogènes de gestionnaires élus sans programme. D’autre part, l’élection à la syndicature lausannoise montre les différences existant entre pouvoir communal et pouvoir cantonal. Décalquer purement et simplement l’organisation du gouvernement sur les Municipalités, en clair élire un Président du Conseil d’Etat de la même manière qu’un Syndic, n’est-ce pas commettre les sept erreurs d’appréciation suivantes ?
1) Une ville n’est pas un canton. La commune reste un pouvoir de proximité, le canton incarnant l’Etat. La campagne lausannoise l’a montré, au niveau communal le débat politique tient aux projets et aux personnes, alors qu’il se décline en choix de société au plan cantonal. Dès lors, pour l’Etat, la recherche courageuse d’un fonctionnement institutionnel cohérent doit primer sur la copie maladroite d’une recette connue. 2) La question cruciale du programme reste posée. Elle n’est pas résolue par la présence d’un Président au sein d’un collège qui continuera à pouvoir réunir des tendances diamétralement opposées. Pas de programme, donc pas de choix politiques clairs, pas d’équipe soudée, ni de gestion des crises. Pour exemple, se référer à l’exécutif fédéral et à son actuel désarroi. 3) Le Président stabilisera le collège. Pourquoi pas. Mais il peut aussi provoquer son explosion, s’il s’affirme au détriment d’une composante contestant son action. 4) Dans le même esprit, les campagnes pour la présidence susciteront des affrontements qui seront moins feutrés qu’au plan local. Comment s’épauleront des élus qui se seront combattus et dont l’un sera le chef de l’autre ? 5) Pour les partis, la nécessité de profiler un « Syndic cantonal » augmentera la personnalisation du pouvoir, au détriment de l’élaboration d’analyses et de visions à long terme. 6) Au même chapitre, les liens entre gouvernement et partis seront encore plus tendus. Que sera le Président du Conseil d’Etat ? L’élu du peuple ? La courroie de transmission de son parti ? Le chef d’un camp ? Un homme seul ? Les mécanismes relativement simples dans le cadre d’une seule commune sont-ils envisageables pour tout un canton, compte tenu de l’importance des enjeux, de la pression des partis et des attentes légitimes de la population ? 7) Enfin, le système retenu implique quatre tours de scrutins. Deux pour la constitution du collège. Deux autres pour le choix du Président. C’est trop lourd et trop long. Dans les communes, pas de problème, certains des quatre tours sont presque toujours tacites. Il n’en sera rien au plan vaudois. En outre, le » Syndic cantonal » n’aura pas obligatoirement la majorité absolue au premier tour. Des triangulaires ou des voix dissidentes pourront provoquer un ballottage.
En bref, jeter une pincée de fonction présidentielle dans l’actuel collège est un faux compromis. Soit on garde le statu quo, avec sept personnes toutes différentes mais aussi toutes égales. Soit on traverse complètement la rivière pour prendre pied sur l’autre rive. S’offrent alors deux options : l’élection par le peuple d’un chef de gouvernement qui choisit ses ministres ; ou la liste bloquée permettant de constituer une équipe de coalition élue sur un programme. Or, l’intérêt majeur de la liste bloquée tient dans sa capacité à réunir les avantages d’un vrai gouvernement, fruit d’une orientation politique précise et non du hasard des urnes, avec la volonté des vaudoises et des vaudois de désigner directement les membres du Conseil d’Etat. Là est le vrai compromis, entre audace et tradition. Les Constituants le verront-ils ? En tout cas, ils verront la nécessité d’en débattre.