Rapport d’intégration 1999 du Conseil fédéral : Un paquebot avec un moteur de scooter
Etrange exercice que celui du Conseil fédéral mercredi 3 février dernier. Désireux de présenter sa politique d’intégration européenne, le gouvernement s’est appliqué à désintégrer toute présentation politique de ses objectifs. Energiques et volontaristes, les Conseillers fédéraux Cotti et Couchepin ainsi que l’ambassadeur Spinner ont clairement affirmé qu’ils n’affirmeraient rien. On savait l’ambiguïté du Conseil fédéral en matière d’adhésion. On découvre son habileté en matière d’illusion. Tout est fait pour que la confusion s’appelle pragmatisme. Tout est prévu pour qu’une hypertrophie du quantitatif masque la faiblesse du qualitatif. Un paquebot a été mis à l’eau, avec un moteur de scooter à l’intérieur. L’immobilisme est programmé. Du grand art.
Première ambiguïté dans les attitudes contradictoires touchant l’initiative » Oui à l’Europe » et le rapport d’intégration. D’un côté, toute l’argumentation utilisée pour ne pas soutenir l’initiative est articulée autour de la notion de compétence du gouvernement. C’est le Conseil fédéral qui est maître à bord. L’initiative le priverait de son droit de décider en matière d’ouverture des négociations d’adhésion. A l’inverse, toute la philosophie du rapport de l’intégration renvoie le leadership au peuple. C’est à lui de débattre, c’est à lui de juger, c’est à lui de pousser notre barque vers l’Europe, le gouvernement se bornant à alimenter l’opinion en données strictement factuelles. Au moins dans l’esprit, une telle divergence dans la manière d’aborder deux objets connexes ne traduit pas un effort de cohérence forcené.
Quant au rapport lui même, sa finalité est explicitée par le communiqué fédéral qui met en garde les rêveurs : » Ce rapport ne vise ni à soupeser entre eux les divers instruments de la politique d’intégration, ni à justifier ou à plaider en faveur de l’adhésion de la Suisse à l’UE ; de même, il ne fournit pas de plan d’action détaillé du Conseil fédéral en vue de l’adhésion. » On ne saurait être plus clair : tout sera dit pour que le discours ne soit pas tenu. Pour ce faire, on privilégie le quantitatif, sans développer le qualitatif, souvent résumé par une phrase, voire un mot.
Cette démarche est particulièrement sensible dans le calcul du coût de l’ouverture. On établit avec soin le montant de 3,125 milliards, mais on ne sait pas trop quoi mettre en face. On parle d’avantages non chiffrables. Rien sur l’économie des coûts générés par les ajustements autonomes consentis aujourd’hui par le secteur privé et l’administration publique. Rien non plus sur les gains sectoriels qui seraient réalisés par les exportateurs, alors que des études équivalentes existent en Europe. On aime chiffrer, mais pas tout. Mais surtout, les apports qualitatifs ne sont pas développés. Et si on admet gagner la co-décision, on se garde bien d’en décrire les bénéfices. L’immense champ d’action politique, juridique, culturel, et donc économique, que nous ouvrirait une participation pleine et entière à l’Union n’est qu’effleuré. Sans compter notre devoir de contribuer à la construction pacifique du continent européen. C’est vrai qu’il aurait fallu là une approche, politique, humaniste, généreuse, lucide, courageuse.
Même sentiment concernant l’augmentation de la TVA. Elle sera doublée, point. Une lecture rapide pourrait même faire croire qu’il faudra payer à la fois 7,5 % de TVA supplémentaires et 3 milliards. Pourtant, ces deux montants sont indéfectiblement liés, la hausse des impôts indirects permettant de financer nos contributions européennes. Il y a un seul coût de l’adhésion et non deux. En fait, la hausse de la TVA est l’occasion d’une formidable réforme de notre fiscalité. Elle va offrir des ressources considérables à la Confédération. Tout doit donc être mis sur la table, de l’IFD au droit de timbre, du financement de la protection sociale à la nouvelle péréquation entre cantons et Confédération, en passant par les taxes écologiques. Tout doit être repensé de manière globale et cohérente. Or, rien n’est abordé franchement. Et cette question essentielle en matière d’intégration est laissée en jachère.
Significatif également le peu de place accordé à la question de l’Euro. C’est vrai que la monnaie unique est un instrument politique majeur, qui renforce la cohésion de l’Union, tout en induisant à terme d’importantes réformes politiques, telles que l’harmonisation fiscale par exemple. De telles perspectives auraient à nouveau éloigné du factuel, en exigeant des visions globales. De plus, parler de la fin de la spéculation monétaire aurait attristé nos financiers. A l’inverse, évoquer la fin de la BNS aurait peut-être trop réjoui nos entrepreneurs qui ont souvent subi ses errements doctrinaires.
Mille domaines sont ainsi mille fois pétrifiés dans des évaluations comptables. Et la somme de tous ces bouliers juxtaposés vise en permanence le » un égale un « . La conclusion de la partie économique (p 378) illustre à merveille ce faux pragmatisme qui réfléchit pour mieux éviter de penser : » Au fond, on peut dire que l’adhésion n’est pas la clé pour solutionner tous nos problèmes économiques. Mais il est également faux de croire que seules des mesures internes peuvent neutraliser les désavantages économiques dus à l’isolement « . Ouf, tout est dans tout. Les camps sont renvoyés dos à dos.
On ressort donc de ces quatre cents pages moins convaincus que vaincus par la masse d’éléments. Eléments qui tendent à se neutraliser. Neutralisation qui anesthésie le débat sur l’adhésion. Débat qu’il est d’ailleurs interdit d’ouvrir en raison des bilatérales. Bilatérales que le Conseil fédéral chérit bien davantage que son but stratégique, toujours revendiqué mais rarement défendu. La boucle surréaliste est bouclée. Nous avons probablement le seul gouvernement au monde qui produit un énorme rapport pour éviter le débat qu’il veut ouvrir sur un de ses propres objectifs qu’il veut taire pour mieux éviter de l’atteindre.